Groupe Héritage et Spiritualité
Ana Luísa Pinto, RSCM
10 mars 1911. Il est midi lorsque le Cap-Vert1 atteint finalement le port de Rio de Janeiro. Pendant quelques instants, la vue de cette beauté incomparable a lavé leur âme et leur a donné l’agréable sensation de recevoir un “accueil” sincère et chaleureux ! Le grand cœur brésilien accueille les sœurs portugaises Maria de Aquino Vieira Ribeiro, Maria de Assis Gomes da Fonseca et Santa Fé Gomes Conde. Elles laissent derrière elles un pays où le mystère pascal était vécu très profondément.
En octobre 1910, une révolution politique majeure s’était produite au Portugal, provoquant la déposition de la monarchie et la proclamation d’un nouveau régime politique – la République. De nombreuses lois avaient été promulguées dans le but de détruire l’Église catholique, entraînant l’expulsion des congrégations religieuses du pays et la confiscation de leurs biens. Les RSCM du Portugal avaient été contraintes de se séculariser, de fermer leurs écoles dans les villes de Porto, Braga, Viséu et Penafiel et de quitter leurs couvents. Plusieurs sœurs s’étaient réfugiées dans leurs familles, d’autres vivaient secrètement en petits groupes, d’autres encore avaient quitté le pays. Certaines sœurs de nationalités étrangères étaient retournées dans leur pays d’origine dès qu’elles avaient pu. Les unes étaient parties aux États-Unis d’Amérique (Tarrytown) et d’autres avaient passé la frontière espagnole (Tuy). Et c’est ainsi que, avec beaucoup de souffrance, les RSCM du Portugal avaient été contraintes à une dure diaspora.2 Nous pouvons imaginer qu’elles s’étaient souvenues, encore et encore, des sages paroles que le Père Jean Gailhac avait adressé aux premières Sœurs de Porto: «Vous passerez sans doute par des épreuves, peut-être même par quelques souffrances, le bien ne peut guère se faire qu’à cette condition; mais si vous aimez Dieu, Dieu aplanira toutes les difficultés et vous portera dans son cœur.»3
Le 4 février 1911, Sr Maria da Eucaristia Lencastre (première Provinciale du Portugal) se rend à Béziers, à la Maison Mère, pour informer Sr Sainte Constance Farret (Supérieure Générale) de la situation difficile au Portugal et demander conseil sur les actions à entreprendre. Elle est accompagnée de Sr Maria de Aquino Ribeiro qui, devant l’urgence pour les RSCM de se réimplanter hors de leur patrie, avait ressenti un fort appel de Dieu à créer une fondation au Brésil. Bien que craignant que la proposition soit trop risquée et la destination trop lointaine, Sr Sainte Constance et son conseil discernent et, comme il leur apparaît clairement que la demande de Sr Marie d’Aquino vient de l’Esprit Saint, elles acceptent.4 En moins de trois semaines, le 21 février 1911, la communauté fondatrice – Sœurs Maria de Aquino, Santa Fé e Maria de Assis – se met en route pour sa nouvelle mission !
Il fait nuit quand le Cap-Vert quitte le port de Leixões. Sr Maria da Eucaristia avait béni ainsi les trois sœurs pionnières: «Vous partez, mes filles, de ces terres de Santa Maria vers les terres de Santa Cruz, pour faire aimer et servir le Seigneur auprès des enfants et des jeunes qu’il vous confie».5 Sr Maria Alice Duarte raconte que quelqu’un qui avait été prévenu à l’avance pour aller les attendre à leur arrivée au port de Rio de Janeiro, ne s’était pas présenté. Elles se sont donc retrouvées seules dans un pays étranger, épuisées et sans savoir où aller. Heureusement, Sr Santa Fé avait un cousin qui vivait à Rio de Janeiro. En apprenant leur arrivée, il vient à leur rencontre et les emmènent dans sa maison, où elles peuvent se reposer et passer une nuit réconfortante. Ce jour-là, le 10 mars 1911, une ébauche prometteuse de la Province Brésilienne de l’Institut des Religieuses du Sacré-Cœur de Marie commence à prendre forme.6
Aujourd’hui, tandis que nous célébrons 111 ans de fondation et de présence de notre Institut au Brésil, nous regardons en arrière avec une immense gratitude et nous nous laissons interpeller par l’exemple de foi inébranlable en Dieu, de résilience dans les dures épreuves, de liberté, de courage et d’audace des Srs Maria de Aquino, Maria de Assis et Santa Fé. Dans un contexte de révolution politique et d’expulsion des congrégations religieuses du Portugal, la préoccupation immédiate de l’Institut était naturellement de protéger les sœurs en danger et, à cette fin, de rechercher des lieux sûrs. Étonnamment, ce qui aurait pu confiner et paralyser les sœurs a été un levier pour qu’elles prennent un nouveau risque. Incapables de prévoir ce que l’avenir leur réservait, les trois courageuses missionnaires lisent les événements à la lumière de la foi et, animées par la flamme de la “foi et du zèle”, agissent dans leur présent. Ce qui aurait pu conduire à la fin de notre Institut au Portugal fut au contraire l’occasion de son expansion !
Sur les traces de la communauté fondatrice de l’Institut au Brésil et de tant d’autres RSCM qui nous ont précédées dans le temps, nous sommes appelées aujourd’hui à vivre notre charisme avec résilience où que nous soyons, à être des femmes de passion et de compassion, des communautés ” en marche ” pour proclamer la Bonne Nouvelle.7 Que l’héritage extraordinaire de nos sœurs Maria de Aquino, Maria de Assis e Santa Fé nous inspire pour continuer à être ouvertes à de nouveaux horizons de mission dans notre monde blessé et qu’il nous encourage à risquer la nouveauté et l’inconnu alors que nous cherchons à répondre aux cris des marginaux et de la terre!
1. Navire transatlantique ancré dans le port de Leixões, près de la ville de Porto – Portugal.
2. Sampaio, Rosa do Carmo; Connell, Kathleen, Un cheminement dans la foi et le temps, Histoire des RSCM, 4. Sources de Vie, 2017, Version portugaise 193.
3. GS/17/X/71/B
4. Sampaio, Rosa do Carmo; Connell, Kathleen, Un cheminement dans la foi et le temps, Histoire des RSCM, 4. Sources de Vie, 2017, Version portugaise 218-220.
5. Journal de Sr Santa Fé (document très important de la fondation de la Province du Brésil)
6. Duarte, Alice Maria. A História do Instituto das Religiosas do Sagrado Coração de Maria no Brasil de 1911 à 1926. Fontes de Vida, 11-32.
7. Cf. Document du Chapitre Général 2019.