Lettre 14

Posted May 25, 2022

Marchiennes, février 2022

Cher Père Gailhac,

Jamais nous n’aurions penser vous écrire, habituées plutôt à vous lire, à faire mémoire de votre pensée et à nous inspirer de votre foi ardente pour vivre comme RSCM. Mais l’occasion nous est offerte, alors c’est avec joie que nous allons converser. Cependant, comme l’instant n’est pas habituel nous nous posons la question : Quel sujet allons-nous aborder avec vous ? ? Des évènements passés ou présents de notre vie seraient une bonne entrée en matière. 

Déjà, nous vous imaginons assis à votre table, notre lettre entre les mains, le regard bienveillant, attentif, et affectueux. 

Depuis notre arrivée dans le Nord de la France en 2019 et jusqu’au premier confinement dû à la pandémie, nous avons accompagné des personnes réfugiées, principalement d’origine africaine. L’une d’elles, une maman de 4 jeunes enfants est aujourd’hui incarcérée à la Maison d’Arrêt de Valenciennes à la suite d’un drame familial. Cette tragédie a touché notre cœur. Nous avons mesuré la détresse de cette femme, se retrouvant dans l’univers impersonnel de la prison, ne comprenant, ni parlant le français, ne sachant pas où étaient ses enfants. Nous avons replongé dans notre expérience d’aumônières à la Prison des Femmes de Rennes. Cette dernière nous a profondément marquées. Nous ne sommes pas sorties indemnes de cette « aventure » humaine et spirituelle. Beaucoup de personnes de « l’extérieur » nous demandaient pourquoi être allées dans ce lieu, d’après elles ces « gens » n’en valaient pas la peine. Nous répondions que c’était au nom de Jésus-Christ et de son Evangile et aussi que cet appel rejoignait la déclaration de mission de votre cher institut. Nous disions également que vous-même aviez visité les prisonniers et que cette part d’apostolat que vous avez exercé nous motivait.

Nous vous imaginons encore hocher de la tête, sans doute cela vous rappelle-t-il nombre de souvenirs émouvants !

Vous savez, au commencement, nous ne pouvions pas envisager l’ampleur et l’exigence que prendrait cette mission dans notre vie personnelle et communautaire. Mais nous la pressentions riche et capable de nous bousculer et nous aimions cette idée-là ! Pour nous, cela sonnait en écho à ce que vous écriviez à vos chères filles :

« Le rocher solide c’est Jésus-Christ, sa grâce, sa doctrine, ses exemples. Sa grâce est le commencement et la source de tout bien, avec elle rien n’est impossible » (GS/1/IX/81/A)

Cette mission particulière, vécue dans ce lieu au nom de l’Evangile, a produit en nous des fruits de tendresse, de paix et de joie. Elle a travaillé notre humanité et notre foi pour plus de simplicité, de vérité et d’humilité. Nous l’avons assumée avec les richesses et les limites, les forces et les faiblesses qui étaient les nôtres. Nous avons appris à nous laisser conduire par un Autre et à œuvrer dans la dentelle ; c’est à dire dire avec la plus grande délicatesse et le plus grand respect possibles, conscientes que dans les personnes rencontrées, le visage et le cœur de Dieu se révélaient.

Toutes ces années (12 ans voire 14 ans) au Centre Pénitentiaire, nous les avons relues sous le regard de Dieu en suivant un fil conducteur et en nous appuyant sur une image, celle du corps. Le corps donné à voir et vu, est important particulièrement en prison : corps parlant ou corps silencieux, corps aimant ou corps révolté, corps unifié ou corps morcelé, corps qui exprime ce que nous sommes ou qui cache ce que nous sommes. Le corps qui unit et qui porte les différences, le corps pour vivre, aimer, se réjouir, le corps à respecter, le corps vivant et sauvé ! bref le corps social et ecclésial que nous formons, Corps du Christ comme le dit St Paul ! Cette image, vous-même l’avez reprise pour exprimer l’unité que les sœurs se doivent de vivre.

Dans ce corps emprisonné qu’est le monde carcéral, les visages ont retenu notre attention : les visages, les regards et la parole. Tout est lié.

Ces visages sont de beaux visages sans fard, vrais, qui ne trichent plus et qui, pour beaucoup de femmes jeunes et moins jeunes, portent les stigmates d’une vie fracassée. Nous avons appris à percevoir la lassitude, la tristesse et le désespoir qui se cachent derrière le visage qui sourit car les yeux ne pleurent pas au grand jour mais en cellule à l’abri des autres, de la curiosité, de la violence pour se préserver et garder sa dignité malgré tout !

   Nous avons appris à rencontrer les personnes d’abord par le regard.

Les regarder pour les connaître et les reconnaître chacune afin de leur donner leur prénom et les faire exister autrement que par un numéro d’écrou qui leur rappelle constamment ce pourquoi elles sont là. Les regarder pour les aimer pour elles-mêmes, chacune en particulier sans se préoccuper de ce qu’elle a fait et pour l’aider à s’aimer telle qu’elle est ! 

Les regarder pour reconnaître et aimer avec elles celles qui sont différentes, seules, en souffrance ou moins bien loties afin d’ajuster et de clarifier le regard. Souvent des solidarités nouvelles sont apparues par le regard attentif porté les unes sur les autres : une aide pour les démarches, le partage d’un gâteau, la présence amicale après un parloir qui s’est mal passé, une fleur cueillie pour égayer la cellule ou le cœur.

Les regarder pour découvrir avec elles qu’elles sont uniques dans le regard de Dieu. Et nous avons vu, de nos yeux, naître en elles la nouveauté, le désir de vivre mieux, le bonheur de grandir en vérité, leur volonté de reprendre un bon chemin et de changer de vie, de relations. 

Les regards de ces femmes, tous leurs regards qui appellent, qui en disent long et qui révèlent leur être intérieur nous ont bouleversées et sont gravés en nous. En les regardant, en les écoutant par les yeux (c’est possible !), nous nous disions qu’il fallait avoir de la force et du courage pour dire ça va » quand tout est lourd à porter ! « Ça va aller » quand l’épreuve de la peine ou le manque se font sentir plus fortement ! « Ça ira ma sœur, tu verras ! » quand leur horizon s’éclaircit.

« Regarder chaque être vivant avec le regard de Dieu », ce sont vos paroles qui ont résonné en nous ! 

Dans ce corps en détention nous avons vécu avec elles des moments de grâce autour de la table avec ou sans café ! Des moments de partage de la parole ordinaire, du quoi de neuf aujourd’hui, du Café Discut et ceux du partage de la Parole de Dieu, lieu où du neuf apparaît dans la vie et le cœur ! Nous avons souvent été émues, remuées par l’intensité de tous ces partages. Nous croyons que nous avons vécu réellement des moments où nous faisions ensemble l’expérience de la présence de Dieu parmi nous dans le quotidien tissé avec les autres, l’expérience d’une vie fraternelle possible. Des chemins se dessinaient pour la vivre telle que nous sommes dans notre vocation d’enfants de Dieu. La capacité des femmes à aller à l’essentiel nous a toujours interpellées alors que souvent la tentation de se réfugier dans les idées était plus confortable ! Notre foi a grandi et s’est enrichie entre personnes confrontées à la même lumière et les mots qui sortaient de la bouche devenaient plus doux, moins injurieux et plus aimants.

Dans ce corps en détention, les mains se révèlent et font des merveilles. Elles deviennent des expertes en communication, en expression artistique, en débrouillardise. Que de merveilles réalisées avec peu de choses ! que d’ingéniosité déployée pour égayer la grisaille des jours !

Un jour une femme m’a dit « Sœur Myriam, quand tu sers la main c’est solide et c’est pour de vrai » ! J’ai toujours été fascinée par les mains mais je ne m’étais jamais arrêtée sur ce que les autres pouvaient penser de l’usage de mes mains ! Alors après, j’ai continué à tenir la main des femmes pour leur communiquer de la tendresse, à envelopper de mes bras leurs épaules pour les soulager, à essuyer les larmes de désespoir, à écrire pour elles, à faire usage de mes mains pour le mieux, à les joindre pour prier avec elles !

Nous avons été marquées par le propos d’une femme alors qu’elle se préparait à recevoir le pardon. Notre réflexion portait sur les mains bienfaisantes de Jésus et elle nous a dit : « Vous savez mes mains, elles ont fait le pire et je ne pouvais plus ni les regarder ni en prendre soin mais maintenant je crois que je peux les convertir ! »

Nous avons vu ses mains redevenir belles, s’ouvrir pour donner et soulager, pour calmer et pour aimer. Des mains converties en somme ! des mains sauvées ! Et pourquoi pas les nôtres à convertir dans la banalité des jours !

Nous avons vu également des mains applaudir pour accompagner et encourager les femmes sortantes et des mains se lever et se tenir en une longue chaîne pour chanter le Notre Père. Cette longue chaîne qui construit l’unité du Corps.

Dans ce corps en détention nous avons vu le cœur des femmes se dilater et battre à nouveaux frais ! alors qu’elles croyaient l’amour mort à jamais à force de déceptions, à force d’être mal aimées ou pas aimées du tout.

Les yeux de leur cœur se sont ouverts car le temps en prison permet de revenir sur sa vie et de voir les errances où les excès peuvent conduire. Le silence de la cellule et la solitude ont souvent pour effet de faire craquer les enfermements !  Combien de fois avons-nous entendu : « La prison a été nécessaire pour moi, je suis libre en moi ! j’apprends à m’aimer, à aimer et à pardonner ! ». Regarder ces femmes avec le cœur nous a permis de découvrir les richesses enfouies en elles !

Ces derniers temps nous avons souvent médité Marguerite-Marie et moi-même sur un verset de la 1ère épître de St Jean : « Dieu est amour. Celui qui aime est né de Dieu, celui qui aime connaît Dieu ! »

 Encore un passage que vous aimez et que vous avez approfondi pour vos filles afin de les guider ! 

Toutes ces femmes croisées en prison qui gardent au cœur la petite flamme de l’amour et qui l’entretiennent sont nées de Dieu, sont enfants de Dieu ! Quelle bonne nouvelle ! Souvent nous avons été confrontées au mal qui serrait la vie de ces femmes et c’était une épreuve pour nous mais nous avons vu de nos yeux, nombre de signes de résurrection du cœur et nous nous disions : Oui, c’est vrai, nous croyons que le cœur de Dieu bat en prison !

Enfin, nous avons rencontré en prison des hommes et des femmes, de tous horizons, chrétiens ou non, venus donner du temps, de l’amitié, de la joie, de la considération aux femmes et nous avons vu combien cela était vital pour elles. En poursuivant la lettre de St Jean nous avons lu et retenu : « Personne n’a jamais vu Dieu mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu vit en nous et son amour en nous est parfait. »

Nous avons construit ensemble, aumôniers, femmes, célébrants et invités, le corps libéré de l’Eglise derrière les barreaux et cela a été pour nous une vraie richesse de vie et de foi. L’image du corps a toute sa pertinence : chacun, chacune a sa place pour le bien de tous ! Que ce corps grandisse toujours plus, qu’il puise sa force dans celle de l’Esprit !

Au terme de cette lettre, vous vous demandez peut-être ce qu’est devenue cette maman africaine dont nous vous parlions au début. Elle s’appelle Haoua et elle a été transférée dans une autre prison du Nord de la France. Quitter, repartir de nouveau, refaire d’autres relations. Nous continuons de la soutenir et avec elle nous irons plus loin sur le chemin de la réinsertion. Ses 4 enfants vont bien mais elle n’a pas encore de parloirs avec eux. Les 2 ainés sont aves leur papa et Sr Marie-France et quelques personnes de la paroisse se relaient pour approfondir leur apprentissage du Français. 

Pardonnez-nous Père Gailhac d’avoir écrit si longuement. Avec vous nous rendons grâce à Dieu pour toutes ces richesses de vie au service des petits. Votre cœur et le nôtre sont brûlants de Jésus-Christ qui passe tandis que nous marchons à sa suite !

Vos filles

Sœurs Myriam et Marguerite 

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